MON PÈRE CE PAS HÉROS
Devenir père n’était pas un but en soi. J’avais prévu d’être James Dean, ou pompier. Et pourtant, ça m’est tombé dessus. J’ai cru un temps que ça coulerait de source d’être père, qu’il suffisait d’être.
Et puis sont apparues les charges matérielles, physiques, mentales, et émotionnelles. Il fallait changer et vite. Chercher en hâte dans les figures masculines parentales de mon enfance. Mon père ? Benz’ à la garderie le mercredi, veuf qui élevait seul ses enfants ? Michel, père au foyer mari d’une doctoresse ? Le père de Julien mon voisin qui était homosexuel dans notre village de Picardie? Vertige.
Passer alors au crible les figures féminines. Un copié-collé depuis plusieurs générations: garantes de la bonne tenue du foyer, aux parcours professionnels réduits au strict minimum chose. J’ai peu joué avec ma mère, mais je suis toujours allé chez le médecin avec elle. Mon père ne m’a jamais coiffé, mais on jouait ensemble.
Une femme pourtant sortait du lot: ma tante Martine. Une femme “frivole”, “pas stable”, “déjà mariée”, “déjà divorcée”, sans enfants à 35 ans. Une femme qui aura payé sa liberté au prix des quolibets, injures, hommes violents et précarité. Une figure féminine surnaturelle et envoûtante.
Face à tout ceci, il me fallait inventer un nouveau rapport père-fils. Mais quel père être ? Quel partenaire parental devenir avec la mère de mon fils? La vérité est que je n’étais pas armé. J’ai grandi dans un milieu rural, entre le monde des chevaux et celui du foot. Un monde exclusivement composé d’hommes, où la force physique conditionne une hiérarchie de valeurs, de rapports, engendrant dominations et humiliations. Se déconstruire au galop, tenter de ne pas reproduire, rêver et inventer. C’est cette drôle de mue profonde, imparfaite, et infinie qui a donné vie à Posséder sa nuit.